ETAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES DE CROISSANCE ET DE COMPETITIVITE POUR LE SOUS-SECTEUR TEXTILE-HABILLEMENT D’HAITI

SITUATION DU SOUS-SECTEUR TEXTILE-HABILLEMENT (Source DEDI)

Haïti a une longue histoire de plus de 30 ans dans l’assemblage textile-habillement de réexportation. Cette activité génère très peu de valeur ajoutée, néanmoins elle permet de créer environ 45 mille emplois. Les investissements dans ce secteur sont pour le moment essentiellement d’origine haïtienne et, à un degré moindre dominicaine, sud- coréenne et américaine. La plupart des usines (quelque 40 unités de tailles diverses) sont installées sur deux groupes de sites principaux :

  1. Aire métropolitaine de Port-au-Prince : Parc industriel métropolitain de la SONAPI, Parc industriel privé de SHODECOSA, y compris quelques usines implantées en dehors de ces deux zones.
  2. Nord-est d’Haïti :
    1. CODEVI à Ouanaminthe sur la frontière haitiano-dominicaine ; et
    2. Zone industrielle de Caracol.

Image Inaugurée en octobre 2012, la Zone industrielle de Caracol occupe une superficie de 240 hectares dont 50 sont réservés au Groupe textile SAE-A de Corée du Sud qui opère déjà sur ce site une usine de maille et se propose d’y installer graduellement l’intégralité de la filière textile-habillement, allant de la filature au produit fini. Le Groupe SAE-A qui disposait d’un effectif de 5.400 ouvriers en 2013 a projeté d’en atteindre 37 mille d’ici 2020. Il se veut pour cible à long terme de rouler à pleine capacité et de générer entre 60 et 75 mille emplois.

Le secteur textile-habillement représente à lui seul près de 90 pourcent des exportations totales de marchandises d’Haïti. Les Etats-Unis d’Amérique sont le principal débouché de la production d’Haïti, avec plus de 90 pourcent de ses exportations, représentant un total de $ 900 millions en 2017 (Source: ADIH) , vendues sur ce marché. Haïti occupe le 5 e rang des pays exportateurs de produits en maille vers les États Unis d’Amérique après la Chine, le Mexique, le Honduras et le Salvador. Les autres destinations des exportations haïtiennes sont, par ordre d’importance, l’Union Européenne (4 pourcent) et le Canada (3 pourcent). Ce secteur a un potentiel de création d’emplois supplémentaires évalué à 300 mille ouvriers, eu égard à la proximité du pays avec les USA et aux investissements structurels en cours. A date, Haïti capte 1% du marché américain mais, fort de ce potentiel, elle en vise désormais 5% pour des exportations estimées à 4 milliards de dollars(Source: ADIH).

PRINCIPALES CONTRAINTES

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Ces contraintes concernent, entre autres :

  1. la forte concentration des acheteurs leur procurant un pouvoir de marché pour décider à la fois du moment, du lieu et du fournisseur des articles à commercialiser ;
  2. l’accent mis sur le marché américain où s’écoule l’essentiel des produits haïtiens et le peu d’intérêt accordé à d’autres places commerciales non moins intéressantes dont le Canada, l’UE et même le marché haïtien pour le moment envahi par les vêtements usagés ;
  3. le coût élevé de certains facteurs de production ;
  4. la déperdition des petits métiers liés à l’industrie textile-habillement en général et celui de la couture en particulier, sous l’effet dévastateur du commerce indésirable des vêtements usagés ;
  5. la pénurie de cadres intermédiaires et de main-d’œuvre qualifiée ;
  6. le manque d’espaces industriels, influant sur leurs coûts de location ;
  7. la concurrence accrue à laquelle fait face Haïti, notamment de la part des pays de la région, etc. ;
  8. le caractère extraverti de l’industrie textile-habillement qui a très peu de lien avec le reste de l’économie d’Haïti ;
  9. L’absence d’activités inter-entreprises en sous-traitance privant le sous-secteur des liants indispensables à son intégration dans l’économie haïtienne
  10. l’absence de consensus à propos des salaires affectant en retour la stabilité du sous-secteur, laquelle est indispensable au respect des délais de livraison qui est au nombre des attributs de la compétitivité
  11. les types d’articles assemblés dans le pays (t-shirts, sous-vêtements, uniformes, vêtements, costumes pour homme, pantalons et shorts, etc.) qui ne génèrent pas suffisamment de valeur ajoutée ;
  12. le manque de formation de la main d’œuvre, limitant, à court et à moyen terme, les possibilités en matière de production ;
  13. le problème de compétitivité d’Haïti lié aux insuffisances infrastructurelles et à leurs implications, en termes de coûts induits pour l’énergie électrique et autres services essentiels, incluant les services liés au transport des produits vers les marchés de destination.

PERSPECTIVES DE CROISSANCE ET DE COMPÉTITIVITÉ

Le prolongement de la loi HOPE/HELP pour 2025 devrait permettre de renforcer les avantages acquis et d’augmenter les capacités productives de l’industrie textile haïtienne, tout en contribuant à créer de nouveaux emplois. Au regard de l’importance du marché européen, les opérateurs devraient penser à diversifier leurs marchés d’exportation en mettant à profit les clauses de l’APE. En effet, l’Union européenne est le premier marché du monde en ce qui concerne le secteur textile-habillement avec près de 376 milliards d’Euros (Source: Institut Français de la Mode) . Ce marché est alimenté aux 2/3 par des importations en provenance de l’Asie dont 75% de la Chine et du Bangladesh.

FACTEURS CLÉS POUR LA CROISSANCE ET LA COMPÉTITIVITÉ

Il y a lieu de pourvoir à :

  • l’amélioration soutenue des relations entre patronat et salariat (consensus autour du niveau des salaires à servir aux ouvriers) sous l’impulsion d’un arbitrage conséquent des Pouvoirs publics ;
  • la disponibilité d’espaces industriels à des prix compétitivement acceptables ;
  • la fourniture de l’énergie électrique de qualité à un prix compétitif pour alléger la facture des entreprises qui, pour suppléer aux insuffisances en la matière, sont obligées de se procurer des génératrices de secours ;
  • la réhabilitation des petits métiers du textile-habillement dont celui de la couture qui constituait jadis une source importante de revenus pour les familles de la classe moyenne haïtienne ;
  • le renforcement des capacités de l’Institut National de Formation Professionnelle (INFP) et la réhabilitation des centres et/ou écoles publics de formation professionnelle pour donner l’impulsion nécessaire au secteur privé d’intervenir ;
  • la formation d’une main-d’œuvre qualifiée répondant aux besoins de croissance, d’innovation et de compétitivité du sous-secteur textile-habillement ;
  • l’utilisation efficace des initiatives américaines (HOPE/HELP et canadiennes sur le textile, etc.
  • l’élaboration d’une stratégie axée sur des choix judicieux de créneaux de marchés et de produits cibles à haut potentiel de valeur ajoutée répondant à la fois aux besoins d’exportation et de substitution aux importations de vêtements dont ceux usagers ;
  • l’introduction de produits innovants mettant au mieux à profit la culture haïtienne ;
  • la formation de cadres intermédiaires en textile-habitextiles internationaux, des techniciens de coupe industrielle, des techniciens de production en confection, des chefs de production, des spécialistes en marketing international, des techniciens supérieurs en entretien industriel (textile), des gestionnaires d’espaces industriels ;llement dont des techniciens de réparation de machines à coudre, des connaisseurs en textiles, des acheteurs
  • l’existence de services logistiques efficients.

DÉFIS À RELEVER

Ceux-ci concernent notamment :

  • la diversification de la production et des marchés ;
  • l’identification de créneaux de marchés niches qui puissent permettre d’éviter la concurrence avec les pays asiatiques adeptes de gros volumes à faible valeur ;
  • le pilotage stratégique du sous-secteur textile-habillement ;
  • l’augmentation et la diversification de l’offre exportable pour la réduction de la charge portuaire affectant en partie la compétitivité d’Haïti ;
  • l’initiation sur une base d’équité du travail de nuit susceptible d’intensifier la production ;
  • le développement d’une filière textile-habillement d’Haïti, incluant autant de composantes que possible : filature, tissage ; teinturerie, impression ou finition ; confection, incluant coupe et couture ; commercialisation, combinant marketing, stockage et expédition.
  • l’amélioration de la qualité des infrastructures pour en réduire les coûts.
  • l’établissement de conditions propices au développement d’activités interentreprises en sous-traitance ;
  • la formation de cadres intermédiaires et d’ouvriers qualifiés qui font pour le moment défaut à l’industrie, etc.

PROPOSITION DE MODERNISATION ET DE MISE À NIVEAU DE LA FILIERE TEXTILE HABILLEMENT

Il a été élaboré dans le cadre du plan intersectoriel à moyen terme (PIMT) de l’aide pour le commerce un programme de modernisation et de mise à niveau du sous-secteur textile et habillement. L’idée de ce projet (codee I-9) a consisté en des réponses à tout un ensemble de constats qui ont été dressés, concernant notamment :

  • la dégradation au fil des décennies de la filière de production locale qui, dans les années 1970, intégrait, dans une logique de verticalité, différentes composantes (plantation de coton, filatures, tissage, teinture de tissus et confection de vêtements) ;
  • la problématique de la couture, jadis une source importante de revenus pour les familles haïtiennes, et qui est, de plus en plus, mise à mal par la concurrence accrue des importations de vêtements de seconde main qui contribue largement à ralentir voire à compromettre pratiquement la production locale de vêtements ;
  • l’absence prolongée de stratégie pour venir à bout de ce commerce indésirable pour lequel Haïti se profile désormais comme un site de référence avec ce que cela comporte de risque sanitaire et de coût réputationnel et d’atteinte au prestige national ;
  • le manque d’interaction de l’assemblage de réexportation avec l’art et l’artisanat haïtiens qui ne favorise guère l’émergence d’une industrie textile-habillement différenciée capable de concurrencer avantageusement les marques de vêtements étrangères sans compter l’absence d’un label haïtien de protection de la propriété intellectuelle ;
  • la connaissance imparfaite aussi bien du marché intérieur que de celui de l’exportation posant un handicap majeur au développement de la capacité du pays à faire du commerce ;
  • les préférences américaines (Lois HOPE/HELP) qui restent encore à explorer en dépit des progrès évidents caractérisés au cours de ces dernières années par une montée en gamme de produits et l’exportation vers des articles à plus forte valeur ajoutée ;
  • les autres préférences canadiennes et européennes restées jusqu’ici inexplorées ; etc.

Cette intervention conçue en deux phases a prévu de :

  • faire un état des lieux de la filière ;
  • produire des réflexions sur les moyens à mettre en œuvre en vue de l’émergence d’une mode haïtienne différenciée par l’art et l’artisanat capable de soutenir la compétition avec celles d’autres pays;
  • conduire une étude de marché au niveau national pour identifier des créneaux à la portée des producteurs haïtiens dans une perspective de substitution aux importations de vêtements usagés;
  • élargir le cadre de cette étude de marché pour inclure une composante internationale dans le but de repérer les places commerciales accessibles à Haïti à court, moyen et long terme;
  • faire une analyse documentaire en vue de l'identification dans les initiatives américaines HOPE/HELP, des préférences canadiennes et de l'UE des catégories d’articles à haut potentiel de valeur ajoutée à considérer éventuellement dans une optique de diversification et d'intégration véritable dans les courants d'échanges commerciaux;
  • dresser un état des besoins de renforcement des capacités pour la réalisation du potentiel existant (gap analysis).

Autant d’activités ayant pour but de : (i) permettre l’élaboration d’un programme de modernisation ou de mise à niveau de la filière textile-habillement assorti d’un plan et d’un calendrier de mise en œuvre ainsi que d’un budget et d’un calendrier d’exécution à mettre en œuvre avec l’appui des partenaires techniques et financiers présents dans le pays, et (ii) fournir aux Pouvoirs publics les informations nécessaires à l’établissement de politiques publiques propices à la croissance et à la compétitivité de la filière

LA FILIERE TEXTILE-HABILLEMENT A LA TABLE-RONDE DES DONATEURS DU 14 SEPTEMBRE 2017

La filière textile-habillement a figuré au nombre des dix-neuf projets présentés lors de la table ronde du 14 septembre 2017 autour du PIMT. Selon les résultats de cette table ronde, un appui de l’Union européenne reste possible pour cette filière à travers le programme d'accompagnement à la mise en œuvre de l'Accord de partenariat économique (APE) mais conditionné à la ratification dudit instrument international par le Parlement haïtien.

CONSIDERATIONS DE LA CELLULE CIR DU MCI

La grande difficulté qui se pose pour intervenir dans la filière textile-habillement en Haïti tient à la multiplicité des acteurs couplée au manque de synergie d’actions entre eux sans compter l’absence d’arbitrage en ce qui concerne les décisions à prendre. En effet, chaque acteur ou groupe d’acteurs (Gouvernement, entreprises et partenaires techniques et financiers) joue sur ce terrain sa propre partition dans une cacophonie d’ensemble qui échappe au contrôle du chef d’orchestre, en l’occurrence le Ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI). Cette filière a été, au cours des dernières années, la cible de deux programmes distincts (Cadre intégré renforcé et Services d’Appui aux projets - SAE/BM) relevant du MCI. Dans une tentative de mise en commun, la Coordination du projet de catégorie 1 CIR-Haïti a, conformément à l’exigence des représentants du partenaire financier de SAE (Banque mondiale), élaboré un document démontrant clairement la complémentarité des activités proposées par les deux programmes. Longtemps réticente, la Coordination de SAE avait, à l’évidence, fini par accepter de conjuguer ses efforts avec ceux de sa contrepartie du CIR pour une meilleure synergie et cohérence d’actions à l’échelle de la filière. Mais, avec le changement de gouvernement (du provisoire au définitif) et le manque de volonté qui a caractérisé, dès le départ, la Coordination de SAE le suivi n’a pas été assuré.

Le problème affectant la filière textile-habillement a trait principalement au manque d’élaboration de l’offre de produits. Il prend en stratégie et en politiques publiques pour inverser cette tendance. Le pilotage stratégique de la filière textile-habillement semble échapper au contrôle du MCI. Mais quelle qu’en soit la juridiction, elle serait bien inspirée à orienter la stratégie de cette filière, de façon à lui permettre d’atteindre pleinement son potentiel. Celle-ci va au-delà de simples opérations d’assemblage de réexportation, comme c’est le cas aujourd’hui, mais vers une véritable industrie fondée sur la mode comme moyen d’expression de l’originalité et de la diversité culturelle d’Haïti.

La Coordination de la Cellule CIR appelle de ses vœux à l’élaboration et à l’application, en appui à toute stratégie, de politiques publiques qui puissent permettre de lever les contraintes spécifiques et transversales à la filière et de prendre, du coup, avantage des opportunités qui s’offrent pour sa croissance et compétitivité effective. Le projet suivant a été inscrit dans le PIMT :